aller au contenu

Pour davantage de subjectivité dans la relation de soins aux personnes âgées

15/01/2025
Nos Réflexions

A l’heure de la médecine moderne, qui se veut fondée sur les faits (EBM : Evidence Based Medecine), il importe de restaurer la relation à l’autre, axée sur la subjectivité des personnes en présence. C’est ce que pourraient réclamer bons nombres de personnes âgées, elles qui sont justement confrontées régulièrement au monde des soins de santé, et à la perte progressive, semble-t-il, de la reconnaissance de leur aptitude à faire face seules (ou avec l’aide d’autrui) à la réalité du quotidien.

EBM (evidence based medicine)

La médecine basée sur les preuves a démontré ses avantages. Elle n’implique pas un modèle de soins « unique », mais nécessite l’utilisation d’une série d’étapes pour recueillir suffisamment d’informations utiles pour répondre à une question pour un patient donné. Reste ce que disent les patients : quand on se rend chez le spécialiste, ce dernier semble parfois davantage en relation avec son écran d’ordinateur, qui possède toutes les informations utiles au traitement médical adéquat, qu’avec le patient lui-même. Au risque de se sentir réduit à une affection médicale, de ne pas pouvoir faire entendre la façon très subjective d’appréhender cette affection, et que le praticien n’en tienne aucun compte dans le traitement proposé.

Certains soignants vont jusqu’à éviter de transmettre certaines informations au patient, ou de lui demander son avis, "pour son bien". Croyant pouvoir juger de ce qui convient mieux au patient, le dit soignant se permettra donc de prendre des initiatives sans en informer le patient. Certes on attend d’un soignant, d’un médecin en particulier, qu’il connaisse sa matière, et assume une certaine forme de maîtrise teintée d’assurance quant à la marche à suivre. Mais également qu’il informe précisément le patient, sans utiliser de mots compréhensibles par lui seul, et qu’il intègre dans ce traitement la façon toute subjective dont le patient peut se l’approprier. Ces mêmes soignants savent en effet -les recherches scientifiques le prouvent1- toute l’importance de faire du patient un « patient-partenaire », qu’il participe aux soins, qu’il se les approprie, et que le traitement s’en trouvera d’autant plus efficace.

La dévalorisation narcissique du grand âge

Bon nombre de patients âgés l’avouent aussi : ils craignent de faire entendre leur droit à la parole et de manifester leur éventuel désaccord avec un traitement médical proposé. C’est que le vieillissement participe très souvent à un sentiment de vulnérabilité, notamment vis-à-vis d’autrui et des plus jeunes. De même, bon nombre de personnes âgées se sentent diminuées et incapables de résister au regard dévalorisant d’une société qui prône l’efficacité et la performance. Au point où elles réalisent moins bien une tâche en compagnie d’étudiants que si elles sont seules à réaliser cette même tâche2

La dévalorisation de l’image de soi est courante face aux différentes pertes et renoncements fréquents lors de la survenue du grand âge : perte de statut social, de responsabilités familiales, affaiblissement physique ou intellectuel… C’est donc au soignant de prendre des mesures pour respecter le droit à la parole d’un patient âgé, pour l’encourager à participer activement à ses soins, et l’inviter à rester souverain, c’est-à-dire libre et responsable de son existence. Même lors d’une administration de biens ou de la personne, ou lors de troubles cognitifs sévères, il importe d’adapter la démarche thérapeutique au patient. Un patient atteint de maladie d’Alzheimer à un stade avancé reste une personne à part entière qui mérite d’être considérée en tant que telle. Intégrer au processus de soins la façon toute subjective qu’elle a de les vivre continue à être une nécessité.

Le soignant et sa subjectivité

Le soignant est lui aussi impliqué de façon très subjective dans sa relation avec son patient, même par l’intermédiaire d’actes techniques. Si l’on croit être un bon soignant en mettant de côté toute subjectivité et en prônant une intervention neutre et objective, on se trompe. Si l’on croit qu’il importe de ne manifester aucune fragilité émotionnelle, et qu’on évite de se laisser toucher par ce qui peut se produire entre deux êtres humains, on ne remplit pas pleinement les conditions à un soin de qualité. Au contraire, c’est en se laissant toucher que l’on peut au mieux adapter les soins à la singularité de la situation vécue par le patient, au-delà de toute standardisation des soins qui définit une méthode spécifique à une pathologie donnée.

Mais se laisser toucher ne veut pas dire se rendre à son tour vulnérable, si tant est que l’on veut bien se mettre un peu en question dans notre pratique de soignant. Car il importe de se rendre compte que cette sensibilité est ce qui va permettre de s’adapter au vécu du patient, à son éprouvé, à son contexte de vie, et in fine à un meilleur résultat quant aux soins prodigués. C’est aussi ce qui va permettre au soignant d’augmenter ses compétences, et l’épanouir tant dans son activité professionnelle que dans son aptitude à être en relation avec autrui. Se laisser toucher n’est pas un signe de faiblesse mais au contraire un témoignage de la volonté de faire face à la complexité d’une situation donnée dans laquelle intervient également des aspects très personnels et singuliers. Face à cette sensibilité, il importe que le soignant ne reste pas seul. En tout cas qu’il puisse lui aussi faire appel à une aide extérieure si nécessaire. Le travail en équipe ou en pluridisciplinarité est en ce sens d’une grande richesse, voire dans certains cas indispensable. C’est aussi cette façon de travailler qu’il convient d’adopter quand on s’adresse à des personnes âgées, et que l’on veut bien convenir qu’un soin s’intègre dans la diversité des soins dont une personne âgée peut avoir besoin.

Pour conclure

L’objectivité d’une démarche scientifique qui soutient la formation et la pratique d’un soignant (par exemple pour l’aide à la prise de décision d’un traitement approprié) ne suffit pas à répondre à des soins de qualité auprès de patients âgés. Dans toute relation de soins qui s’assume, l’objectivité de la science se confronte à la subjectivité des personnes en présence. C’est d’autant plus vrai que bon nombre de patients âgés ont besoin de faire entendre leur subjectivité à l’heure où leur existence peut sembler leur échapper. C’est dans la mise en valeur et l’attention portée à leur façon de s’approprier subjectivement les soins qu’ils pourront assumer leur souveraineté.

1Les recherches scientifiques mettant en valeur l’empowerment des patients âgés sont aujourd’hui légions. Cfr. Par exemple : Vandendoren B, Geurts H, Haelewyck M-C. Empowerment individuel et grand âge. Gérontologie et société 2019/2 ; vol 41 ; n°159 ; 213-226.

2Abrams D, Eller A, Bryant J. An age apart : the effect of intergenerational contact and stereotype threat on performance and intergroup bias. Psychol Aging 2006 ; 21 ; 691-702. Voir aussi à ce sujet : Adam S, Joubert S, Missotten P. L’âgisme et le jeunisme : conséquences trop méconnues par les cliniciens et chercheurs ! Revue de neuropsychologie 2013/1 ; vol 5 ; 4-8.

 

© CABASA 2023 - rue Coenraets 72A 1060 Bruxelles - newsletter

CABASA ASBL est financée par


iriscare

CABASA ASBL est accompagnée par


coopcity

CABASA ASBL fait partie de deux fédérations et un réseau

saw-b luss Social Housing Network